Ouverture de la journée d’étude « Le fait photographique – Une photographie a-t-elle toujours été une image ? », par Olivier Poncer, Guy Meyer pour la HEAR et Paul Turot et Catherine Merckling pour La Chambre.

Le fait photographique

L’expression fait penser à une autre, plus populaire celle-ci, qui désigne l’intervention d’une autorité extérieure et s’appelle « le fait du prince ». Une autorité, une sorte de lock-out : une fermeture, un enfermement.

Également à proximité, ou dans sa périphérie, l’expression « de facto » signifie « le fait accompli », par opposition à « de jure » qui signifie « reconnu de droit ». En cela, cette dernière ressert plus encore notre intitulé dans ce qu’elle désigne d’abrupt, d’inattendu, d’implacable, d’immédiat. « Dont acte », pourrait-on dire, pourrait-on encore ajouter. « Dont acte » étant l’ellipse de l’expression « ce dont il est donné acte » ou « ce dont il est pris acte ». C’est cet « état de fait » qui opère et contribue à ce saisissement qui fait « l’effet photographique ».

Fermeture ou clôture d’un côté, immédiateté d’un acte, de l’autre. Deux composantes intrinsèques de l’image photographique qui font son autorité spontanée et contribuent à cette charge singulière qui la caractérise quand il s’agit de comprendre son « évidence ». Autrement dit son énergie (1), cette manière d’être qui la caractérise intrinsèquement, si singulièrement.

Chef d’œuvre d’enargeia, l’image photographique, à l’instar de l’image-bouclier qu’Héphaïstos fabriqua pour Achille, dans le poème d’Homère (2), contient, enferme dans sa surface le monde, ses océans, ses passions humaines, ses limites aussi. Image-écran au creux de laquelle circule une sorte de combat entre ce qui est (rendu) visible, et ce qui est (potentiellement) lisible. Factuel et fictionnel, donc.

Elle est une image qui impose la question de notre rapport au monde tel qu’il est, quand elle le réfléchit, et qu’il devient un espace mental. Le monde tel qu’il est d’ordinaire se confond dans le monde « comme » il est en photographie. Ainsi peut commencer l’idée du « fait photographique ». Celle d’un monde miniature mis à plat, tandis qu’un effet mimétique (parce que synthétique) le dirige, et nous avec.

Jamais, en regard des tentatives de représentation qui l’ont précédée, une image n’a présenté, au croisement de l’actualité (l’histoire) et des sciences de l’image (sémiotique), une efficience aussi saisissante et paradoxale que celle qui « fend »(3) l’image photographique. Union et séparation, donc.

Le fait photographique est « ce qui œuvre », ce qui agit spécifiquement quand, devant l’image photographique, l’interaction entre identification et interprétation se nourrit de leurs complémentarités et construit cette explosion de sensations qui projette le spectateur dans l’espace mouvant des évocations : un espace lui-même structuré et orienté par mille tensions, croyances, ou certitudes mêlées. Ce, du document initial jusqu’à l’œuvre.

Le fait photographique est ce qui, en conscience de ce qui distingue l’image photographique de ce qui l’a produite, œuvre : un emboitement. En ce sens, le fait photographique oblige à déchiffrer ce dont nous sommes aveugles, de ce qui nous aveugle.

C’est là l’objet des échanges de cette journée d’étude.

GuyMarieMeyer. 10/02/2021.

Ressources complémentaires

(1) latin : evidentia / grec : enargeia
(2) Le bouclier d'Achille (Homère, Iliade, XVIII, 478-608)
(3) le terme est emprunté à G. Deleuze in l’Abécédaire